Ma photo
Daniel Frasnay est un des grands photographes du XXème siècle encore largement méconnu.
C’est la raison pour laquelle nous voulons défendre son œuvre.

présentation

Les ADF viennent de se constituer en association loi 1901 dont les deux buts principaux sont les suivants :
Le premier est de faire connaître et de promouvoir l’œuvre de Daniel Frasnay qui est l’un des derniers photographes humanistes vivant, contemporain de Doisneau, Boubat ou Ronis, et auteur d’un ouvrage de référence « Leur monde, peintres et sculpteurs ».
Paru en 1969 aux éditions Draeger, ce livre consacré à trente trois artistes parmi lesquels Braque, Giacometti, Miro, Dali, Mathieu, Buffet, De Kooning, Moore… est né de ses rencontres avec les acteurs phares du monde artistique de cette époque. Cet ouvrage somptueux qui associe textes et photographies de Daniel Frasnay est à lui seul un véritable témoignage du patrimoine culturel et artistique de l’après-guerre en France.
La variété et la qualité des autres ouvrages qui ont été publiés sur son travail, les expositions qui lui ont été consacrées, témoignent aussi de sa singularité et de sa grande maîtrise de l’art photographique.
Nous possédons bien sûr un important fond documentaire que nous souhaitons développer. C’est pourquoi nous nous adressons à tous les collectionneurs, amateurs, professionnels et institutionnels pouvant nous aider dans cette tâche. Tous documents, témoignages, propositions seront les bienvenus.
Le second but de l’association est de faciliter la recherche d’une solution matériellement convenable et digne pour un artiste de cette importance.
En effet, Daniel Frasnay vit actuellement dans une situation de précarité insoutenable et les soucis assombrissent sa vie depuis 1999, date à laquelle il a dû céder ses droits sur ses archives à une photothèque allemande. Il se trouve depuis pris dans le piège d’un véritable imbroglio juridique, économique et financier.

Émus et révoltés par cette situation qui porte atteinte à la dignité d’un homme de 83 ans, les ADF ont décidé d’agir en mettant son œuvre à l’honneur et en refusant de le voir terminer sa vie dépossédé de tout ce qui a donné sens à son existence.

Leur Monde



De la rencontre d’un photographe et des créateurs de son temps, naît en 1969, un ouvrage majeur de l’histoire de l’art intitulé « Leur Monde, peintres et sculpteurs ».
Cet ouvrage à la gloire des peintres et sculpteurs modernes nous dévoile l’univers de trente trois artistes. René Huyghe, de l’Académie Française en rédige la préface. Le poète Frasnay, plume à la main, présente les artistes, qui complètent eux-mêmes leur portrait à l’aide d’un texte, d’un poème ou d’un dessin. A cela s’ajoutent des centaines de photographies, couleurs et noir et blanc, de Frasnay, le photographe.
Ce livre ne saurait être présenté sans l’avant-propos de Charles Draeger, éditeur imprimeur de cet ouvrage, grâce à qui la forme rivalise avec le fond :

Ce livre n’a pas été conçu, il a pris un souffle
Par la force même de sa présence lorsque,
l’instantané au bout des doigts,
un homme voulu approcher l’insaisissable.
Pour percevoir un sentiment, une vérité,
il y a vingt ans
que Frasnay a commencé une sorte de danse incantatoire
autour de quelques créateurs.
De face, au travail, pris dans un rêve,
voici que ces élans en gros plan,
souvent commencés en reportage et terminés en amitié,
faisaient respirer au photographe un tel air,
que leurs témoignages nous ont étonnés, amusés,
émerveillés bien souvent.
Il suffisait dès lors de leur donner un rythme
pour avoir entre les mains un livre.
D’autres se sont attaqués au même problème
précédés de leur nom grand comme la renommée.
Daniel Frasnay,
un des rares solitaires que le monde de la photographie
admet encore, a pris un chemin plus réservé.
Il n’est pas entré dans l’intimité de tel ou tel,
afin de trouver un excitant à sa propre inspiration,
il y est venu tout neuf de sentiments.
En cela réside la qualité première des reportages
réunis ici.
Le mot réunion demeure d’ailleurs le seul qui convienne
il n’y faut chercher ni un classement, ni un choix, ni une option,
seule la nécessité du travail,
tout au long d’une solide vie professionnelle,
a créé cette succession.
Ce livre n’est pas né du hasard,
il demeure le fils d’une rencontre
entre un artiste sachant voir, dire,
et nous dont la fonction est de révéler.
Car nous pensons qu’en deçà de la création,
Il demeure important de saisir le temps des créateurs. (1)

René Magritte - 1966
En 1966, sur l’invitation de l’imprimeur éditeur Draeger, Daniel Frasnay commence la réalisation de cet ouvrage. Trois ans de travail lui seront nécessaires pour faire la somme de quinze années de sa vie de photographe passées en compagnie des artistes qui ont dominés la création artistique de ce siècle.
En 1969, « Leur Monde », issu des rencontres multiples entre un photographe et le monde artistique, est publié, en français d’abord puis dans de nombreuses langues. Il s’agit de l’ouvrage majeur de la carrière de Daniel Frasnay qui connaîtra non seulement un grand succès de librairie mais qui se verra aussi décerner le prix du meilleur livre d’art de la Foire du livre de Francfort la même année.
Daniel Frasnay nous permet à travers cet ouvrage, par les textes et les photographies, d’aller à la rencontre des artistes, de leurs ateliers et d’entrevoir le mystère de la création.

Ce livre s’est construit au fil du temps, c’est d’une certaine manière un album qui rassemble, tout au long de ses trois cent soixante pages, quinze années de la vie d’un photographe et de ses sujets favoris, les créateurs. Comme le précise Charles Draeger dans son avant-propos, Daniel Frasnay s’est refusé à établir entre les artistes un ordre d’apparition, ou même un classement. Il ne souhaite en effet faire aucune différence entre un peintre et un sculpteur, un abstrait et un figuratif, un cubiste et un surréaliste. Pour lui, l’important est de livrer l’homme dans son monde, quel qu’il soit. Ainsi, les artistes se retrouvent côte à côte, semblables et différents.

Joan Miro - 1968
De la même manière, Daniel Frasnay n’a jamais cherché à faire de « jolies » photographies, il montre simplement les créateurs tels qu’il les a vus. Daniel Frasnay a pris le temps de choisir parmi ses milliers de clichés accumulés pendant quinze ans, non pas les meilleurs sur le plan technique mais ceux qui correspondaient le mieux à la personnalité, au caractère de chacun des artistes. Trente trois artistes qu’il a choisi de faire figurer dans son ouvrage parmi tant d’autres photographiés au cours de sa carrière. S’il les a choisis eux plutôt que d’autres, c’est parce que d’une certaine manière il s’est senti proche d’eux : « C’est une sorte de fraternité qui m’a guidé. J’étais comme m’a dit Lorjou, " un des leurs " par la façon de sentir. » En entrant dans leur univers, Daniel Frasnay a réussi à intégrer leur monde jusqu’à en faire partie, ce qui lui a permis d’exprimer par l’image et par la plume qui sont ces artistes et ce qu’il a éprouvé à leur contact. « Le problème des textes s’est posé à la fin. J’avais quelque chose à exprimer sur chacun des artistes. Que ce soit par l’appareil ou la plume, j’étais le seul à pouvoir le faire. Cela n’a pas été difficile. Ces phrases chantaient en moi, c’était comme de la musique qui venait. » Il lui est apparu évident de commenter ses rencontres au moyen d’un autre support que celui de la photographie, une manière différente de s’exprimer. Il a par exemple écrit le texte sur Chagall d’une seule traite, dans un train. En voici un extrait :

« Chagall                                          
compose                                          
un tableau                                        
comme un acrobate                       
tourne                                               
en orbite                                           
autour                                               
de son cœur » (2)                               

Daniel Frasnay ne s’est pas contenté de rassembler ses images et ses écrits, il s’est investit bien plus dans la fabrication de cet ouvrage. En effet, les éditions Draeger n’ayant pas accompli une maquette convenable, au goût du photographe, il décide en accord avec eux de concevoir lui-même cette maquette et de ne signer le contrat qu’une fois le livre terminé. « J’ai décidé de tout réaliser moi-même. Je voulais être le seul maître à bord et choisir moi-même mes noirs profonds et mes blancs nourris. » Il peut ainsi aller au bout de ses exigences. En tant que photographe indépendant Daniel Frasnay ne perçoit donc pas d’argent pour réaliser la maquette. Mais il travaille à cette époque pour une revue de décoration, ABC-DECOR qui lui permet de pouvoir en mener à bien l’élaboration. C’est un défi à la fois personnel et professionnel dans la mesure où il n’a jamais réalisé ni même imaginé un livre, qui plus est de cette importance. Alors, avec une volonté extrême de perfection, il crée pendant trois longues années une maquette dans laquelle rien n’est laissé au hasard; des choix des photos à la mise en page des textes, du choix du format à la police de caractères, de la jaquette à la couleur du papier en passant par le titre en creux dans la couverture, chaque nouvelle étape de la fabrication du livre est pensée : « il fallait trouver l’harmonie entre le blanc de l’image et le blanc du papier dont la composition était un peu plus jaune ou un peu plus blanche suivant la marque… » Un souci de perfection poussé à l’extrême qui le conduira jusqu’en Hollande où il ira choisir un papier grège sur lequel les textes seront imprimés.
Des textes auxquels il porte une attention toute particulière étant donné qu’en plus de ses propres écrits, figurent les témoignages des artistes eux-mêmes sous forme de poème, de lettre ou de dessin. « Chacun étant différent, je ne pouvais pas les traiter de façon identique…chacun a son unité propre, aussi bien dans sa peinture que dans son langage. J’ai voulu qu’on visualise la parole de chacun » 
Daniel Frasnay affirme que sa rigueur et son exigence ont été récompensées grâce aux moyens techniques extraordinaires dont disposaient les imprimeries Draeger. Toutes les conditions ont ainsi été réunies pour que Daniel Frasnay puisse créer une œuvre à la hauteur de ses rencontres et même parfois de ses amitiés avec les artistes qu’il a connus.

Georges Mathieu - 1956
En voulant nous montrer les artistes contemporains, dans leur environnement quotidien, Daniel Frasnay a réussi avec honnêteté et discrétion à nous faire participer à l’émotion fougueuse ou réfléchie du créateur : le visage torturé de Georges Mathieu saisi en pleine action créatrice, entre rage et colère, proche de la démence ; la main de César pleine et charnelle, enveloppant sa sculpture ; l’atmosphère étrange de l’atelier d’Ossip Zadkine où l’artiste au regard intense et mélancolique se confond avec son œuvre ; la joie de vivre de Chagall l’enchanteur à travers un kaléidoscope de portraits d’identité ; les moments de réflexion, de doute de Joan Miro que le photographe a pu saisir en tant qu’hôte privilégié pendant plusieurs jours, et au sujet duquel il dit : « Voir Miro peindre c’est partager ses silences » ; l’allure d’artisan à la stature massive d’Alberto Magnelli renvoyant l’image d’une force tranquille ; la nature impénétrable de Magritte aussi mystérieuse que complexe dans ce célèbre portrait au chapeau melon dont Daniel Frasnay disait lui-même « ce sera la photo culte qui restera de moi » ; la tristesse de l’atelier de Giacometti, désormais orphelin, quelques heures après la mort de l’artiste en janvier 1966, lieu dans lequel il a passé trente neuf années de sa vie à créer, à détruire et à refaire … autant d’images qui nous donnent les clés d’un monde particulier, leur monde.

Jean Arp, Georges Braque, Sonia Delaunay, Alberto Magnelli, Marc Chagall, Ossip Zadkine, Joan Miro, René Magritte, Auguste Herbin, Hans Hartung, Salvator Dali, Marc Tobey, Roger Bissière, Alexander Calder, Jean Piaubert, Henry Moore, Paul Delvaux, Alberto Giacometti, François Pignon, Willem De Kooning, Norman Bluhm, Adolf Gottlieb, Bernard Lorjou, Roberto Matta, Louise Nevelson, Francis Bacon, Karel Appel, Bernard Buffet, Georges Mathieu, Allan Davie, Victor Vasarely, Yvonne Mottet, César.
Que les trente trois artistes photographiés ici apparaissent ou non comme les plus représentatifs de leur temps, peu importe. La force, la valeur du témoignage de Daniel Frasnay ne dépendent ni de la renommée ni du talent de ses modèles. « Il y a œuvre pour le peintre comme pour le photographe quand il y a universalité du message. » (3)

Daniel Frasnay photographié par Hans Hartung - 1966
« Leur Monde » est celui des grands artistes, des grands créateurs du XXème siècle. Daniel Frasnay ne fait-il pas partie lui-même des créateurs? N’est-ce pas également son monde à lui ? Ce faiseur d’images est sans nul doute le trente-quatrième artiste de ce monde. « Frasnay a peint de sa main et avec son appareil photo une fresque d’hommes et de femmes pour lesquels bat son cœur et palpite son âme. A ce titre, il avait lui aussi sa place dans cette galerie de portraits. Ses amis l’ont si bien compris, que l’un d’eux, Hartung, a pris de Frasnay la photo qui illustre la jaquette du livre.» (4) Le rédacteur en chef d’un journal Bruxellois l’a compris également et fait part directement à Daniel Frasnay de sa réflexion à propos de la publication de son ouvrage dans une lettre qu’il lui adresse : « A mon avis, il aurait dû porter le titre « Mon Monde » car votre personnalité transparaît à chaque page et vous faites bien plus que nous introduire dans l’intimité de nos grands modèles : vous nous aidez à les comprendre et vous leur apportez une richesse supplémentaire. Vous êtes mieux qu’un interprète, vous êtes un créateur » (5).






(1) La mise en page du texte est ici, telle qu’elle figure dans l’ouvrage.
(2) La mise en page du texte est ici, telle qu’elle figure dans l’ouvrage.
(3) Article « Epreuves d’artistes », Le Méridional, 10 juillet 1988
(4) Article « Un livre d’art qui est aussi un roman d’amour » de Michel Villeneuve, Paris-Presse, 26 juin 1969
(5) Lettre de Monsieur Verwisch, rédacteur en chef du journal Bruxellois Le Soir Illustré, adressée à Daniel Frasnay le 6 août 1969